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Les débuts de la Fédération jurassienne de musique

Les débuts de la Fédération jurassienne de musique

Après Porrentruy en 1878, c’est Aarberg qui avait été désignée pour organiser la prochaine fête cantonale bernoise de musique1. D’abord reportée d’une année, la manifestation fut définitivement supprimée en juin 1881, faute de participation. Seules cinq sociétés s’étaient inscrites. Le comité local fut dissous, de sorte que le siège (Vorort) de la Société cantonale bernoise de musique populaire et militaire retourna à Porrentruy, où la bannière était déposée2 au restaurant Le National, siège de la fanfare locale. Il faudra attendre cinq ans pour voir une nouvelle tentative prendre forme à Bienne afin de reconstituer le comité central et d’organiser la prochaine fête cantonale dans cette ville en 18873. Prévue d’abord en juillet, la manifestation fut reportée en septembre4, puis à l’année suivante avant d’être finalement annulée5. La Société cantonale disparut à son tour6. Ces circonstances ont-elles favorisé le regroupement des sociétés du Jura bernois?

Toujours est-il que la Fédération jurassienne de musique (FJM) a vu le jour à Tavannes en 1885. Une première assemblée préparatoire avait été convoquée le dimanche 24 mai à l’initiative des fanfares de Moutier et de Delémont. Quatorze sociétés y étaient représentées et six autres avaient fait part de leur intérêt par écrit. Une commission de cinq membres y fut constituée afin d’élaborer des statuts, adoptés le 9 août dans la même localité. Le but de la fédération était de «faire progresser les fanfares à travers les concours, tout en développant l’harmonie et l’amitié»7.

L’assemblée constitutive se déroula le dimanche 6 septembre 1885, toujours à Tavannes. Après l’adoption des statuts et du règlement des concours, on procéda à l’élection du premier comité, composé comme suit: Émile Mercerat, instituteur à Sonvilier, président; Joseph Boéchat, imprimeur à Delémont, vice-président; Célestin Romy, instituteur à Moutier, secrétaire; Alfred Doriot, à Tramelan, caissier; Arnold Vuiltier, de Delémont, et Jaquet, de Saint-Imier, assesseurs. Enfin, on mit aux voix le lieu et les sociétés organisatrices de la première fête régionale de musique. Le choix se porta sur Delémont et ses deux fanfares, la municipale et la “Jeune jurassienne”8.

Dix-huit sociétés payèrent leurs cotisations la première année, la plupart situées dans le district de Courtelary (La Ferrière, Corgémont, Sonvilier, Renan, Tramelan-Dessous et Tramelan-Dessus, les deux fanfares de Saint-Imier), puis dans ceux de Delémont (les deux fanfares de Delémont et celles de Develier et Courtételle), de Moutier (Courrendlin, Malleray) et d’Ajoie (Courgenay et Fontenais-Villars). Les districts des Franches-Montagnes et de Laufon étaient représentés chacun par un ensemble instrumental, ceux du Noirmont et de Laufon. Ces dix-huit sociétés comptabilisaient 409 membres, ce qui représentait un effectif moyen de 23 musiciens9. Après une vaine tentative de reconstituer la Société cantonale bernoise de musique en 1886, les fanfares de Bienne et de La Neuveville adhérèrent à leur tour à la Fédération jurassienne deux ans plus tard10.

Jusqu’au début des années 1920, la Fédération jurassienne maintint bon an mal an ses effectifs. Preuve de sa vitalité et de celle des sociétés affiliées, elle réussit aussi à mettre sur pied presque tous les deux ans une fête régionale de musique. Ces manifestations, appelés aussi “concours”, furent organisées le plus souvent dans le sud du Jura et notamment à Saint-Imier même ou dans le district (1888, 1895, 1903, 1907, 1912, 1922), à Bienne (1891, 1899, 1910, 1930), Delémont (1886, 1905, 1932) et La Neuveville (1893, 1928)11.

La première bannière de la FJM sera inaugurée à la fête de Bienne de 1891. Elle avait été brodée en 1888 et avait coûté 260 francs, payés grâce aux dons des sociétés fédérées. Son dessin était l’œuvre de l’artiste Max Leu (1862-1899) et portait les inscriptions suivantes:

Fédération jurassienne de musique 1885

À la Patrie nos cœurs

À l’Harmonie nos accords12.

Le comité de la Fédération jurassienne de musique dans les années 1920.

La reconstitution d’une Association cantonale bernoise de musique (ACBM) en 1905 ne semble pas avoir gêné les activités de la Fédération jurassienne, néanmoins empêchées durant la Première Guerre mondiale. En 1920, la réorganisation de la Société fédérale va lui accorder un statut spécial en Suisse, pratiquement équivalent à celui des associations cantonales. L’année suivante, une convention sera signée entre la FJM et l’ACBM pour réglementer le recrutement des sociétés de musique du Jura bernois. Cet accord va donner un second souffle à la Fédération jurassienne. Le nombre des sociétés affiliées passe de 18 à 45 entre 1923 et 1935, comptabilisant 1298 musiciens au total avec un effectif moyen de 2913. Mais sur les 94 fanfares et harmonies recensées, il en restait encore plus de la moitié en dehors de la FJM à cette époque14. C’est aussi au début des années vingt que la Fédération décida de créer une médaille “vétérans” pour honorer 25 ans de sociétariat15. Une commission de musique vit également le jour en 1934, avec pour ambition de renouveler le répertoire, un peu sclérosé semble-t-il, en favorisant l’étude de compositions originales, anciennes ou nouvelles, pour les ensembles d’instruments à vent16.

En 1935, la FJM organisa une grande fête à Moutier pour fêter son cinquantième anniversaire. Une opérette, intitulée Rêve de valse, fut montée et jouée avec succès à cette occasion. On inaugura aussi une nouvelle bannière, dessinée par le peintre Schwartz et brodée par Mme Dubois-Meister, tous deux de Delémont. Une des faces était décorée de l’emblème du Jura17 avec une lyre. L’autre était ornée des armoiries des sept districts et de celui de Bienne, avec l’inscription:

Fédération jurassienne de musique 1885 – 1935.

Les concours de la Fédération, qu’on avait recommencé à organiser tous les deux ans dès 1922, furent à nouveau interrompus par la Deuxième Guerre mondiale. Ils reprirent en 1946, mais cette fois sur une base quadriennale, et avec chaque fois de belles participations et un record de 43 sociétés présentes à celui de Porrentruy en 1970. Cette année-là, la Fédération inaugura aussi sa troisième bannière, réalisée par la maison Heimgartner à Wil, avec les seules inscriptions FMJ 1885-1970.

Les adhésions à la FJM vont se poursuivre jusque dans les années 1980. La Fédération comptait 65 sociétés affiliées en 1960 pour un total de 2178 musiciens et un effectif moyen de 34. On en dénombrait 11 de plus en 1985 avec 2262 musiciens et un effectif moyen de 3018. Ce succès n’était probablement pas étranger aux offres de formation et aux nouvelles structures mises sur pied au sein de la Fédération. Des journées musicales décentralisés avaient d’abord été organisées dès 1938. Ensuite, deux sections furent constituées en 1975, l’une pour regrouper les jeunes musiciens au sein d’une association propre et l’autre pour maintenir les contacts entre vétérans dans une amicale19. Les fêtes quadriennales contribuèrent également à maintenir les liens, au moins jusqu’à celle de Delémont de 1979, reportée d’une année en raison des plébiscites qui aboutirent à la création du canton du Jura. On constata alors une nette baisse de participation, due à l’absence des fanfares restées sur territoire bernois. La tendance se confirma lors de la 32ème fête de musique de Prêles, en 1983, où seules 26 des 77 sociétés fédérées étaient présentes20. La Fédération jurassienne de musique réussit néanmoins à maintenir son unité par delà la nouvelle frontière cantonale et à fêter son centenaire en 1985 à Saignelégier où sa quatrième bannière fut inaugurée pour l’occasion21. Après quelques années difficiles, elle retrouva un bel élan au début des années 2000. En 2024, elle comptait 1700 membres, répartis dans 67 sociétés. La majorité provenait du canton du Jura, puis du Jura bernois (22) et de Bienne (5). Le nombre des musiciens avait alors progressé de 11% en deux ans, sans compter les jeunes. À l’occasion de la 41ème fête jurassienne de musique à Alle, on atteignit «un record de participation depuis des décennies». Sur les 46 ensembles inscrits, 37 étaient affiliés à la FJM22.

Le comité de la Fédération jurassienne de musique en 1985

Cyrille Gigandet


1 Journal du Jura, Numéro 55, 5 mars 1881.

2 Der Bund, Volume 32, Numéro 165, 17 juin 1881.

3 Journal du Jura, Numéro 249, 21 octobre 1886.

4 L’impartial, 10 mai 1887.

5 Der Bund, Volume 38, Numéro 171, 23 juin 1887.

6 Fédération jurassienne de musique 50 ans, pp. 7-8.

7 Statuts de 1885, cité dans Fédération jurassienne de musique 100 ans, p. 9.

8 Fédération jurassienne de musique 50 ans, pp.5-7.

9 Fédération jurassienne de musique 100 ans, p. 9.

10 Fédération jurassienne de musique 50 ans, pp.10-12: liste des sociétés d’après leur entrée dans le FJM.

11 Voir le détail dans Fédération jurassienne de musique 50 ans, pp. 17-43.

12 Fédération jurassienne de musique 50 ans, p. 45.

13 Fédération jurassienne de musique 100 ans, p. 10

14 Fédération jurassienne de musique 50 ans, pp. 8-10.

15 Fédération jurassienne de musique 50 ans, p. 16.

16 Fédération jurassienne de musique 50 ans, p. 15 et Fédération jurassienne de musique 100 ans, p. 11.

17 Fédération jurassienne de musique 50 ans, p. 45. A cette époque, il s’agissait probablement d’une seule crosse épiscopale, certainement de couleur blanche. D’après le compte-rendu de la manifestation inséré dans la plaquette, la bannière portait également une nouvelle dédicace: Ã la Patrie nos cœurs, à l’Harmonie nos accents.

18 Fédération jurassienne de musique 100 ans, p. 9.

19 Fédération jurassienne de musique 100 ans, p. 11, 18 et 20.

20 Fédération jurassienne de musique 100 ans, p. 10.

21 Fédération jurassienne de musique 100 ans, p. 30.

22 Le Quotidien jurassien, 15 mai 2024, p. 5, article signé JM.

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