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Bains de Suze à Renan

1906. Bains de Suze à Renan1

L’année 1903 semble avoir été particulièrement chaude, du moins pour l’époque. Les fortes chaleurs furent qualifiées de «caniculaires» dès le début juillet au Noirmont2 et à La Chaux-de-Fonds, où l’eau cessa de couler dans les fontaines3. Après un mois d’août orageux, elles devinrent même «équatoriales» début septembre à Neuchâtel4 et «sénégalaises» à Porrentruy, dépassant les 30° à l’ombre5. Les classes de l’école primaire furent mises en congé l’après-midi à Genève6 alors que les hommes du bataillon 24, «naturellement éprouvés», supportaient «sans encombre cette chaleur torride»7.

Ces circonstances ont engagé les populations à aller se rafraîchir dans les lacs. A Neuchâtel, un père de famille se plaint à ce moment-là de ce que les bains de l’Évole, qui leur sont réservés, sont peu accessibles aux femmes et jeunes filles demeurant à l’est de la ville. Il suggère donc aux autorités de leur ouvrir ceux du Crêt, plus proches8. Les rivières jurassiennes ont probablement accueilli aussi leur flot de baigneurs. Saint-Imier est alors la seule localité du vallon à posséder un bassin alimenté par les eaux de la Suze. La piscine, qui sert aussi de patinoire en hiver, est gérée par une société par actions constituée en 1874 à l’initiative de la section d’Erguël de la Société jurassienne d’Émulation9. A Renan, probablement inspirées par cet exemple, quelques personnes ont alors l’idée de créer des bains sur un «bel emplacement» aux abords de la rivière et à proximité du village. La population accueille favorablement cette «œuvre d’hygiène». Un comité se constitue à la fin septembre 1903 pour mettre le projet à exécution. On estime pouvoir réunir rapidement l’argent nécessaire et ouvrir les bains dès l’année suivante10.

Berthold Vuilleumier (1884-1964), instituteur à Renan.

Une assemblée est convoquée dans ce but le 29 septembre à l’hôtel du Cheval Blanc. On invite en particulier les habitants de La Chaux-de-Fonds à y assister et à s’engager dans le projet. Le comité d’initiative constate en effet que la ville ne bénéficie d’aucun cours ou plan d’eau, que le Doubs est bien loin alors que Renan est accessible «à toute heure» par le train. Il pense que les Chaux-de-Fonniers seront intéressés par l’installation projetée, qu’ils envisageront avec plaisir de pouvoir, «pendant les chaudes journées de l’été», venir «se revivifier dans une eau courante, saine et fraîche». On compte donc sur leur appui pour «assurer plus de succès et un beau développement» à cette création11.

Cet appel fut-il entendu? Probablement car une Société des bains de Renan sera bien constituée lors de cette réunion et dûment inscrite au registre du commerce le 26 octobre suivant. Berthold Vuilleumier (1884-1864), alors jeune instituteur, en prend la présidence. Il sera épaulé par Alcide Leschot, fabricant de cadrans, Louis Schmoker, cafetier, Numa Pellaton (1850-1935), maire puis député (1906-1918), et Léopold Nicolet, ouvrier d’usine.

Contrairement à l’espoir initial, il fallut cependant attendre trois ans pour voir le projet se réaliser. En 1905, la commune accepte finalement de céder pour 200 francs un peu plus d’un hectare de terrain au lieu-dit Auge du Bois, alors que c’était celui situé un peu plus haut sur la rivière, à l’Auge du Moulin, qui était convoité. On y construisit un bassin aux murs de pierre et quelques cabines en bois. Deux ans plus tard la Société obtint un unique subside de 100 francs de la commune et le bois nécessaire à la construction d’un barrage pour la patinoire. Les bains furent inscrits au registre foncier dès la fin de 1906. La piscine n’apparaît néanmoins qu’en 1917 sur la carte Siegfried, sous forme d’un petit rectangle noir au bord de la Suze, au bout d’un sentier partant de la route traversant le vallon12.

Au début, seuls les hommes et les garçons furent admis aux bains de Renan. L’entrée était de 10 centimes pour les enfants et du double pour les adultes. Chaque printemps, sous la conduite de l’instituteur Vuilleumier, les élèves des classes supérieures nettoyaient le bassin de tout ce qui l’encombrait. Si l’on s’y baignait les beaux jours d’été, on y patinait aussi en hiver lorsque l’eau de la piscine gelait.

Les bains de Renan vers 1906-1920. Carte postale 9×14 cm. Mémoire d’Ici, Fonds Hélène Hämmerli.

Durant la crise des années 1920, le bois des cabines fut récupéré pour le chauffage. Les voisins de Villeret et de Cormoret, qui envisageaient à ce moment-là de faire construire une piscine aux chômeurs, considéraient que celle de Renan était trop petite: «La natation réclame un certain dégagement en longueur, ainsi qu’une profondeur assez forte. Il faut que le volume d’eau soit tel qu’on ne patauge pas dans de l’eau vite troublée, mais que les baigneurs aient la satisfaction de prendre leurs ébats dans un emplacement couvert d’une vaste surface d’une eau limpide»13. Le bassin de Renan était néanmoins suffisamment profond pour s’y noyer, comme ce fut le cas pour la petite Hélène Wermeille, âgée de 6 ans, qui glissa en voulant le traverser le 15 octobre 192914.

L’Auge du Bois en 1987. Photographie de H[élène] H[ämmerli]. Journal du Jura, 24 mai 1987.

En 1931, la Société des bains de Renan est radiée d’office du registre du commerce car elle avait «cessé d’exister depuis longtemps»15. Elle avait organisé des matchs au loto pour tenter de faire face à ses problèmes financiers. Mais la piscine, transformée en patinoire en hiver, continua à être fréquentée jusque dans les années 1936-37. En 1939, la troupe remit les lieux en état pour son propre usage. Après la guerre, la commune songea un moment à moderniser les bains. Le projet resta lettre morte. Le terrain servit dès lors de décharge, de sorte que le bassin fut progressivement comblé par les ordures. La piscine disparaît définitivement de la carte Siegfried en 195316. Il n’en restait plus qu’une trace de mur en 198717.

Cyrille Gigandet


1 Une version raccourcie de cet article a pru dans Le Quotidien jurassien, samedi 27 juillet 2024, p. 9.

2 Le Franc-Montagnard, Volume 5, Numéro 477, 3 juillet 1903

3 L’impartial, 17 juillet 1903

4 FAN – L’express, 7 septembre 1903

5 Le Jura, Volume 53, Numéro 74, 15 septembre 1903

6 La tribune de Genève, Volume 25, Numéro 208, 5 septembre 1903 Edition 04

7 Le Jura, Volume 53, Numéro 73, 11 septembre 1903.

8 FAN – L’express, 7 septembre 1903

9 Mémoire d’Ici, Fonds de la section d’Erguël de la Société jurassienne d’Émulation.

10 L’impartial, 26 septembre 1903

11 L’impartial, 27 septembre 1903

12 Swisstopo, carte Siegfried Saint-Imier, 1917

13 La sentinelle, 26 septembre 1921

14 La sentinelle, 16 octobre 1929, L’impartial, 16 octobre 1929 et Le Franc-Montagnard, Volume 31, Numéro 4106, 17 octobre 1929

15 Feuille officielle suisse du commerce, volume 49 (1931), cahier 45, p. 396.

16 Swisstopo, carte Siegfried Saint-Imier, 1953

17 Journal du Jura, Volume 124, Numéro 122, 27 mai 1987 [avec photo du lieu] et L’impartial, 1 juin 1987 [avec photo], articles historiques signés H[élène] H[ämmerli].

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