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Léon Voirol, instituteur-paysan

Léon Voirol, instituteur-paysan (1841-1902)1


Léon Joseph Voirol est né le 27 septembre 1841, aîné d’une fratrie de cinq enfants. Son père Joseph François exerce le métier de maréchal-ferrant. Sa mère, Geneviève Voirol est la cousine de son époux, marié tardivement, et de douze ans sa cadette.

Remarqué pour ses aptitudes d’apprentissage, Léon poursuit sa scolarité à Fribourg puis à Estavayer, où deux de ses grand-tantes maternelles, entrées dans les ordres, enseignent. De retour aux Genevez, il y travaille quelque temps avant de pouvoir poursuivre ses études en Alsace, à Saint-Hippolyte (Haut-Rhin). Il passe et réussit ensuite les examens du diplôme bernois d’enseignement, ce qui lui permet de postuler dans son village natal. Il y est nommé régent de l’école des garçons en novembre 1864. Il y enseignera 37 ans.

Léon Voirol (1841-1902), instituteur-
paysan aux Genevez.

Le jeune régent a probablement débuté sa carrière dans des conditions assez précaires. Il succède à Justin Bendi, de Vermes, nommé en 1862 et rétribué alors 280 francs l’an tout en bénéficiant en plus d’un logement, d’un jardin et de 3 toises de bois. Il commence aussi à enseigner dans la vieille d’école des Genevez, bâtie en 1839. Mais il bénéficiera assez vite des améliorations apportées par la loi scolaire bernoise de 1870, qui limite à 80 (!) le nombre d’élèves par classe, fixe le minimum de semaines d’école à 32 et augmente sensiblement le salaire des instituteurs. La rétribution communale annuelle passe alors à 450 francs. Elle s’élèvera même à 550 francs en 1875, non compris un subside, variable, de l’État. Enfin, Léon Voirol aura la chance de déménager sa classe dans une nouvelle maison d’école (re)construite en 1874, puis restaurée et rehaussée d’un étage quatre ans plus tard. On y aménage alors des salles «spacieuses [et] bien éclairées», des escaliers «commodes», des bûchers faciles d’accès et des appartements «gais» et «élégants» pour loger les enseignant(e)s.

Après avoir remboursé les dettes contractées auprès de son père durant sa formation, Léon Voirol entreprend de se constituer un petit domaine, achetant des terres dès 1869. Grâce à ses économies et ses investissements, il possède suffisamment de champs en 1876 pour nourrir une vache pendant l’hiver. Il épouse par ailleurs cette année-là une de ses cousines, Marie Voirol (°10.02.1851), fille d’Alexandre et d’Agathe Voirol. Formée à la couture chez les Filles de la Charité à Saint-Ursanne, la mariée a ensuite travaillé cinq ans à Paris comme femme de chambre. Elle apporte 2’000 francs d’économies au jeune ménage, ce qui lui permit de continuer à investir dans l’achat de terres puis d’une ferme en 1880. Le couple eut dix enfants, dont la moitié décédés à la naissance ou en bas âge.

1885. Un sociologue parisien aux Genevez2


À côté de son métier d’instituteur et de ses activités d’agriculteur, Léon Voirol a occupé différentes charges au sein de la commune des Genevez. Dès 1870, le régent sert d’intermédiaire à ses concitoyens dans toutes sortes de transactions, notamment en cas de ventes aux enchères. Il entre aussi cette année-là dans le comité d’initiative pour la nouvelle route de Bellelay que le projet initial prévoyait de prolonger jusqu’aux Breuleux. Il assumera en particulier, entre 1878 et 1881, le secrétariat de la commission municipale chargée de cette construction sur le territoire des Genevez. Il prendra ensuite en charge celui de la commune, au moins depuis 1884.

Ancienne maison Maillard, aux Genevez. Le bâtiment a abrité l’école de la commune, (re)construite en 1874 et rehaussée d’un étage en 1878. Henri Maillard, garde-forestier, le rachète au moment de la construction de la nouvelle école et y installe un commerce d’épicerie, de mercerie et de quincaillerie (FOSC N° 247, 27.09.1910).

L’année suivante, sur la recommandation d’une personne restée inconnue, l’instituteur accueille chez lui Robert Pinot, étudiant parisien en sciences sociales. Le jeune homme est un élève d’Henri de Tourville et un disciple de Frédéric Le Play, un des fondateurs de la sociologie. Pinot est envoyé dans le Jura pour étudier la région et ses habitants. Parti de Paris le 10 août au soir par le train, il arrive le lendemain vers sept heures à Glovelier où Léon Voirol l’attend à la gare. Les deux rejoignent en marchant Les Genevez, où le régent propose à l’étudiant de loger chez lui et de partager la vie de sa famille. Pinot y séjournera deux semaines, pendant lesquelles il aura tout loisir d’observer les lieux, l’organisation du ménage, de la ferme et de la communauté villageoise. Son étude paraîtra entre 1887 et 1889 dans la revue La Science sociale.

Robert Pinot (1862-1926)

Pinot commence par y décrire les contraintes géographiques et les conditions météorologiques de la région, le type d’habitats et de cultures qu’elles induisent ainsi que les travaux annexes ou d’appoint qu’elles favorisent. Prenant ses hôtes comme modèles d’analyses et sources d’informations, il étudie ensuite le partage des tâches au sein du couple, de la famille ou du village. Il évoque enfin l’organisation économique, politique et sociale de la commune, la vie au sein de la paroisse ainsi que l’histoire familiale des Voirol.

Après avoir scruté le «Jura rural» des Genevez, Pinot se rendra à Saint-Imier pour étudier la partie industrialisée de la région, en partageant cette fois la vie d’une famille d’horlogers.

Léon Voirol a fait partie du synode libre des instituteurs du district de Moutier, dont il aura été un des membres les plus «zélés» suivant l’article paru dans L’Éducateur au moment de sa retraite. Déjà «miné par la maladie» le 21 décembre 1901 lorsqu’il démissionne de l’association, il décède en mars de l’année suivante.

Cyrille Gigandet

Sources: archives des journaux suisses; Gobat, H.: Le canton de Berne au point de vue scolaire. Coup d’oeil historique, 1917; Pinot, R.: Paysans et horlogers jurassiens, 1979; L’Éducateur, vol. 38, cahiers 2 et 20, 1902.

  1. Une version raccourcie de cet article a paru dans Le Quotidien jurassien du samedi 15 novembre 2025, p. 18 ↩︎
  2. Cette seconde partie de l’article a été publiée dans LE Quotidien jurassien du samedi 6 décembre 2025, p. 18 ↩︎

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