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Histoire

L’épargne sur le Haut-Plateau franc-montagnard

La Caisse d’épargne du Noirmont (1855-1904)1

En 1855, quelques personnes du Noirmont, décrites comme «bien pensantes et zélées», constituent un comité «philanthropique» pour créer un «établissement de bienfaisance». Leur but est d’apprendre à la jeunesse «à faire des épargnes en temps utile» de sorte à pouvoir en retirer «des avantages secourables dans des temps plus difficile».

C’est ainsi que voit le jour une première Caisse d’épargne et de négociation dans la localité. Les 49 actionnaires fondateurs ont réuni 4’852 francs pour la lancer. Au cours de l’année, 40 autres personnes y déposent encore 3’600 francs ou placent 5’430 francs sous forme d’«actions à un franc chaque semaine»2. Au terme de sa troisième année d’existence, la Caisse du Noirmont comptabilise 29’250 francs d’épargne au total3. En 1861, le caissier Froidevaux, vétérinaire de son état, annonce 58’380 francs de dépôts à la fin du sixième exercice4, 62’636 francs l’année suivante5 et même 67’000 francs deux ans plus tard6.

Vue du Noirmont. Détail d’une photographie d’Eugène Cattin (1866-1947). ArCJ 137 J 1864 c

Cette première Caisse d’épargne du Noirmont a-t-elle fait les frais de la crise horlogère des années 1860? On est tenté de le croire car en janvier 1867 celle des Franches-Montagnes ouvre un bureau dans la localité7 où 57 «créanciers par actions» et 13 déposants réuniront leurs avoirs en septembre pour y constituer à nouveau leur propre caisse. Mais ce second établissement ne semble avoir duré qu’une année8.

Il faut attendre le début de 1904 pour voir naître et se concrétiser une nouvelle initiative sur le Haut Plateau des Franches-Montagnes9. En mars, une assemblée préparatoire décide d’y créer sa propre caisse d’épargne. Elle nomme dans ce but un comité de 15 membres issus des communes du Noirmont, des Bois et des Breuleux en le chargeant de constituer une société et d’en élaborer les statuts10. La Caisse d’épargne et de crédit des Franches-Montagnes ne reste pas sans réaction devant la perspective d’une concurrence accrue dans le district. À l’exemple de celle inaugurée aux Breuleux deux ans plus tôt, elle s’empresse d’ouvrir une succursale au Noirmont, confiée à la gérance du notaire Elsaesser11. Nonobstant, on annonce en juillet la prochaine ouverture de la nouvelle banque dont le financement semble assuré, notamment grâce à une souscription de 50’000 francs d’actions par la commune du Noirmont12. Justin Cattin, rentier, et Emile Huot, capitaine, aux Bois, Joseph Boillat, fabricant, et le curé Beuret, aux Breuleux, Constant Arnoux, fabricant de boîtes or et Jules Bouvrat, secrétaire communal, au Noirmont, demeurent à disposition pour enregistrer les derniers souscripteurs13. À l’exception du curé Beuret, resté suppléant, tous les autres seront nommés au futur Conseil d’administration.

La Caisse d’épargne du Haut-Plateau (1904-1911)14

La première assemblée générale des actionnaires se déroula au Noirmont le 11 septembre 1904. Elle constitua définitivement la Caisse du Haut-Plateau montagnard dont elle fixa le siège dans cette même localité. Elle nomma aussi les membres du Conseil d’administration où chacune des communes fut représentée par trois délégués et un suppléant. Louis Péteut, ancien préfet et directeur de la Banque populaire à Moutier depuis 1901, fut choisi pour composer l’organe de contrôle avec Arthur Joly, ancien maire des Bois15.

En prévision du début des opérations bancaires, fixé au 1er janvier 1905, le Conseil d’administration nomma le 24 octobre Joseph Beuret fils, à Saignelégier, comme gérant de l’établissement.16 Pour meubler les locaux de la banque et assurer la sécurité des valeurs, on chercha ensuite à se procurer d’occasion et par voie des petites annonces «un coffre-fort en bon état d’entretien»17 ainsi que des pupitres «pour usager debout ou assis, buffets et casiers pour registres».18 Le gérant Beuret fit aussi publier une offre d’emploi pour un apprenti.19 Enfin, on annonçait le 13 janvier que la Caisse d’épargne du Haut Plateau montagnard venait d’ouvrir ses locaux «sous la direction de M. Louis Huelin, ci-devant comptable au Bankverein suisse à Zurich».

D’après les premières publicités parues, la nouvelle banque rétribue l’argent placé sur carnet d’épargne à 4% et à 31/2% sur les autres dépôts. Elle pratique même un taux «suivant entente» sur les comptes courants! Son offre s’étend aux «avances sur billets propres», «garantie de toute nature» et «escompte d’effets de commerce» en Suisse et à l’étranger.

Au terme d’une première année d’existence, l’assemblée des actionnaires prend acte d’un résultat réjouissant, qui se solde par un bénéfice net de 2’500 francs, dont 2’000 sont immédiatement versés dans un fonds de réserve. Considérant «l’énorme concurrence des grands établissements financiers de la région»20, la performance paraît d’autant plus belle. Une année plus tard, les comptes de la Caisse d’épargne du Haut-Plateau présentent un bilan de près de 300’000 francs de chiffre d’affaires21. La bonne marche de l’établissement est attribuée à l’habilité du directeur Huelin et à l’attachement de la population à sa banque. Deux succursales sont alors créés aux Breuleux et aux Bois, respectivement chez Joseph Boillat et Arthur Joly22. Les dépôts sur carnets d’épargne vont plus que doubler en une année, passant de 138’823 à 279’486 francs23. En 1908, les résultats favorables de l’exercice permettent non seulement d’attribuer 3’000 francs au fonds de réserve, comme les deux années précédentes, mais aussi et pour la première fois de verser 4% de dividende aux actionnaires24.

Cette progression remarquable, saluée par la presse, ne va pas se démentir les années suivantes, en dépit du ralentissement des affaires constaté dès 1909 dans l’industrie horlogère25. Deux ans plus tard, la Caisse d’épargne du Haut-Plateau continue d’afficher de bons résultats. Le montant des dépôts sur carnets d’épargne dépassent dorénavant le demi million; celui du fonds de réserve atteint 15’000 francs alors que le bénéfice résultant du compte de profits et pertes s’élève à 9’368 francs. Cette performance attire l’attention de la Banque cantonale de Berne qui propose en mai 1911 de reprendre l’actif et le passif de la Caisse d’épargne du Haut-Plateau et de racheter les actions nominales de 100 francs à 15026. Mais le krach de la Caisse d’épargne et de crédit des Franches-Montagnes en septembre va prolonger les tractations et modifier la donne bancaire dans la région.

Le temps des caisses locales et populaires semble révolu27. Une pétition auprès du Conseil d’administration de la Banque cantonale de Berne demande leur reprise et la création de deux agences en remplacement, l’une à Saignelégier et l’autre au Noirmont28. Les guichets de la première seront ouverts le 9 octobre dans les locaux de l’ancienne Caisse des Franches-Montagnes, en continuant à «effectuer des avances sur les carnets d’épargne et obligations» de cette dernière29. Le 25 octobre enfin, les actionnaires de la Caisse d’épargne du Haut-Plateau ratifièrent la convention négociée par le Conseil d’administration30. Leur établissement devint à son tour une agence de la Banque cantonale de Berne, placée sous la dépendance de la succursale de Saint-Imier. Elle resta toutefois dirigée par M. Huelin qui fut mis aussi à la tête de celle de Saignelégier et qui poursuivit ensuite sa carrière à Porrentruy31.

Cyrille Gigandet

1 Une version raccourcie de cette première partie a paru dans Le Quotiden jurassien du 24 août 2024, p. 20.

2 Le Jura, volume 6, numéro 3, 17 janvier 1856.

3 Le Jura, volume 8, numéro 1, 7 janvier 1858.

4 Le Jura, volume 11, numéro 1, 3 janvier 1861.

5 Le Jura, volume 12, numéro 01, 2 janvier 1862.

6 Le Jura, volume 3, numéro 1, 1 janvier 1863.

7 Le Jura, volume 17, numéro 2, 8 janvier 1867.

8 Le Jura, volume 18, numéro 71, 4 septembre 1868.

9 Journal du Jura, numéro 41, 18 février 1904.

10 Le Franc-Montagnard, volume 6, numéro 549, 7 mars 1904 et Journal du Jura, numéro 60, 11 mars 1904.

11 Le Franc-Montagnard, volume 6, numéro 581, 28 juin 1904.

12 Le Jura, volume 54, numéro 56, 12 juillet 1904.

13 Le Franc-Montagnard, volume 6, numéro 585, 12 juillet 1904.

14 Une version raccourcie de cette seconde partie a paru dans Le Quotidien jurassien du 7 septembre 2024, p.9.

15 Le Franc-Montagnard, volume 6, numéro 602, 13 septembre 1904.

16 Le Franc-Montagnard, volume 6, numéro 615, 25 octobre 1904.

17 L’impartial, 25 octobre 1904.

18 L’impartial, 16 novembre 1904.

19 Le Franc-Montagnard, volume 7, numéro 636, 5 janvier 1905.

20 Le National suisse, volume 50, numéro 49, 28 février 1906.

21 Le Franc-Montagnard, volume 9, numéro 864, 22 février 1907.

22 Le Franc-Montagnard, volume 9, numéro 942, 22 novembre 1907.

23 Le National suisse, volume 52, numéro 40, 18 février 1908 et Journal du Jura, numéro 43, 20 février 1908.

24 Le Jura, Volume 58, numéro 13, 14 février 1908 et numéro 15, 21 février 1908.

25 Journal du Jura, numéro 41, 18 février 1909.

26 Journal du Jura, numéro 118, 21 mai 1911 et Le Franc-Montagnard, volume 13, numéro 1329, 23 mai 1911.

27 Journal du Jura, numéro 248, 22 octobre 1911.

28 Le National suisse, volume 56, numéro 232, 2 octobre 1911 et Le Jura, volume 61, numéro 79, 3 octobre 1911.

29 Le Jura, volume 61, numéro 80, 6 octobre 1911 et 13 octobre 1911.

30 Neue Zürcher Nachrichten, numéro 291, 26 octobre 1911.

31 Journal du Jura, numéro 155, 6 juillet 1939.

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