Dieu nous en préserve..!
C’est par cette prière, généralement adressée au Ciel pour se prémunir de la grêle, de la peste ou du choléra, qu’un pays asiatique répond en 1970 à une enquête sur le football féminin. Mais la pratique de ce sport par les femmes n’était pas pour autant appréciée ailleurs. Aucune des associations nationales d’Amérique du Sud n’en voulait. Le Paraguay l’avait même totalement interdite. En Europe, la Fédération anglaise ne l’avait admise qu’en début d’année et l’Association suisse de football (ASF) restait alors une des dernières du continent à ne pas l’avoir reconnue.
À ce défaut, qui entachait la réputation de l’ASF, s’ajoutait une menace interne, représentée par l’Association romande de football féminin, officiellement constituée le 29 novembre 1969, à l’issue d’un championnat qu’elle avait organisé seule et sans appui. Forte de cette expérience, l’ARFF prévoyait de créer une licence pour les joueuses et de les assurer contre les accidents et l’invalidité. Elle avait aussi constituée une sélection pour répondre à des propositions de rencontres internationales. Des contacts avaient également été établis avec des équipes suisses alémaniques pour créer une coupe de suisse. Le calendrier de son prochain championnat, comprenant les deux nouvelles équipes de Sainte-Croix et de Brunette-Serrières, avait été fixé.
L’ASF ne pouvait laisser faire, d’autant moins qu’on s’acheminait vers deux importantes votations populaires: l’encouragement au sport par la Confédération, y compris à l’école et pour les filles (27.09.70) et l’octroi du droit de vote aux femmes au niveau fédéral (7.02.71). Son comité central décida donc à l’unanimité d’accepter le football féminin dans sa séance du 21 mars. Il s’engagea aussi dès ce moment-là à organiser le prochain championnat féminin suisse. Il lança même sans attendre un tour final pour l’octroi du titre 1969 entre les quatre meilleures équipes de Suisse, soit Sion-Valère et Yverdon du côté romand, Sparta Zurich et Lucerne du côté alémanique. Les deux premiers matchs de cette poule eurent lieu le 5 avril, le même jour que l’assemblée générale de l’Union des clubs de séries inférieures (ZUS) qui accepta sans discussion ni débats l’introduction du football féminin en Suisse.
Les deux événements avaient être précédés d’une rencontre à Lausanne le 31 mars entre le comité de l’ARFF, les délégués des équipes romandes et des représentants du comité central de l’ASF. Cette première réunion fut suivie d’une seconde le 28 avril. Les deux débouchèrent sur la création officielle d’un département féminin au sein de l’ASF et sur la constitution d’un comité qui fut chargé «d’organiser l’ensemble du football féminin en Suisse». Cet organe était présidé par Pierre Stuby, de Lausanne, épaulé par quatre personnes: Georgette Morisod, d’Yverdon, et Jean Boll, de Granges (VS) côté romand; Heidi Widmer, d’Aarau, et Franz Moser, de Zurich, côté alémanique. C’est à cette occasion également que l’on décida de former une sélection nationale pour répondre à l’invitation de participer en juillet au prochain championnat du monde féminin en Italie.

Le nouveau comité semble avoir chapeauté dorénavant le tour final du championnat inofficiel de 1969, qui se déroula entre avril et juin 1970 et fut remporté par le FC Sion-Valère avec 14 points remportés en 6 matchs. Il lança aussi parallèlement la compétition suivante, organisée d’emblée cette fois au niveau suisse, entre dix équipes divisées en deux groupes. Du côté romand, la nouvelle équipe de Sainte-Croix, qui avait disputé un de ses premiers matchs le 12 avril, avait rejoint celles de La Chaux-de-Fonds, Boudry, Yverdon et Sion. Cette dernière équipe gagna facilement ses quatre matchs en marquant 21 buts et en n’en recevant que 3. Les journaux ne semblent pas avoir publié les derniers matchs et le classement final du “championnat” romand. Cependant, il est pratiquement sûr que les Valaisanes le remportèrent.
On ne connaît pas non plus précisément la composition du groupe alémanique, probablement formé des Damenfussballclub (DFC) de Zurich, Aarau (AG), Lucerne, Young Fellows(ZH) et Winterthour (ZH). Faute de suivi dans la presse, on ignore aussi qui termina à sa tête et s’il y eut une sorte de finale entre la formation alémanique victorieuse et celle de Sion. On sait seulement que le 19 avril eut lieu une rencontre amicale entre Zurich et Aarau, en vue du prochain championnat. On sait aussi que Lucerne et Young Fellows (anciennement Sparta Zurich) participèrent aux côtés de Sion et Zurich au premier tournoi féminin international de football organisé en Suisse les 9 et 10 mai à Zurich. On sait enfin qu’un match, probablement amical, eut lieu à Winterthour entre DFC local et celui de Lucerne.
C’est dans ces circonstances que la télévision commença à s’intéresser au football féminin. Celle de la Suisse romande y consacra une première émission, réalisée par Bernard Vité et Henri Lacombe. Diffusée le 27 juin dans le cadre de “Caméra Sport” et à une heure de grande écoute (20 heures 20), elle démontra combien l’opinion publique était encore opposée à la pratique de ce sport par les femmes. Journalistes, footballeurs de ligue nationale A, hommes et femmes interrogés dans la rue s’y exprimèrent contre le football féminin, parfois même avec une certaine virulence.

La troisième tâche à laquelle s’attela le comité de ce que l’on appelle dorénavant la Ligue féminine suisse de football (LFSF) fut de mettre sur pied la première sélection nationale pour participer au championnat du monde en Italie. Jacques Gaillard, entraîneur de Sion-Valère, prit en main l’équipe de Suisse et l’accompagna en Italie avec Franz Moser. La sélection helvétique comprenait 16 joueuses, dont 10 Romandes, parmi lesquelles 7 Valaisannes. Elle faisait partie du groupe I, qui comprenait aussi l’Italie, le Mexique et l’Autriche, alors que le deuxième était formé de l’Angleterre, de l’Allemagne, du Danemark et de la Tchécoslovaquie. Elle fut éliminée d’entrée par l’Italie (2 – 1) dans un match disputé à Salerne devant 10’000 spectateurs.
Le comité de la Ligue féminine suisse commença à préparer le prochain championnat suisse peu après la fin du Mundial et la retransmission d’une rencontre entre l’Italie et la France à la télévision. À la fin juillet, il constatait que 17 équipes s’étaient inscrites mais qu’aucune ne provenait des cantons de Bâle, Berne, Fribourg et Soleure. Il lança donc un appel, notamment pour compléter le groupe de Suisse centrale. Son invitation fut entendue et plusieurs équipes se constituèrent alors, la plupart de manière indépendante et quelques-unes, à l’instar de Schaffhouse, Seebach et Sion, en tant que sections féminines de clubs. Les 18 formations du championnat féminin suisse de 1970-1971, le premier officiel, furent divisées en trois groupes:
- groupe 1 (Nord-Est): Ebnat-Kappel (SG), Schaffhouse, Seebach (ZH), Saint-Gall, Winterthour (ZH), Young Fellows Zurich (anciennement Sparta Zurich);
- groupe 2 (Centre): Aarau (AG), Berne, Emmenbrücke (anciennement Lucerne), Granges (SO), Soleure, Zurich;
- groupe 3 (Ouest ou romand): Chaux-de-Fonds (NE), Boudry (NE), Échallens (VD), Sainte-Croix (VD), Sion (VS), Yverdon (VD).
On remarque dans cette liste la prédominance du canton de Zurich, avec 4 équipes, suivi de celui de Vaud (3), St-Gall, Soleure et Neuchâtel (2). L’absence de deux cantons latins (Tessin et les Grisons) et de trois régions romandes (Fribourg, Genève et Jura bernois) est aussi à souligner.
Le championnat commença le 6 septembre, en suivant le règlement des juniors. On prévoyait deux rondes de rencontres entre chacune des équipes de chaque groupe et une poule finale au printemps suivant, entre les trois ou les six premières de chaque section. On avait renoncé, pour le moment, au contrôle de genre! La durée des matchs avait donc été fixée à 35 minutes par mi-temps et le ballon utilisée devait être de grosseur 4. A l’issue des rencontres, dirigées en principe par des femmes, les “arbitresses” devaient renvoyer leur rapport et les listes des joueuses au président ou au vice-président de la LFSF.

Avant même le début de la compétition, un rédacteur du journal Le Jura prétendait s’être «déplacé hors des frontières jurassiennes afin de suivre, en spectateur, un match officiel de la ligue féminine». Ironisant «quelque peu», il avouait d’abord que le «spectacle» l’avait «laissé complètement indifférent». Mais, de manière un peu contradictoire, il ajoutait aussitôt que son «esprit s’est révolté à la vue des différentes scènes qui se sont succédé durant les septante minutes de ce match». Le journaliste estimait que sa réaction n’avait rien à voir avec une «mysogynie» ou un «racisme du sexe» dont on pourrait l’accuser. Pour lui, il était simplement inconcevable que «la Femme s’adonne à la pratique de certains sports qui requièrent des qualités primordiales de puissance, de force et de virilité». Estimant que la féminité s’en trouvait dégradée, bafouée même, le journaliste considérait que ce sexe devait s’abstenir non seulement de jouer au football, mais aussi de courir le demi-fond, de lancer le boulet et même de pédaler, entre autre. Il se disait, en revanche, conquis et ravi par les exhibitions des gymnastes ou les figures «envoûtantes et ensorcelantes» des patineuses, expressions du charme, de l’élégance et de la «grâce innée» de la Femme. Comme d’autres avant lui, il dénonçait donc certains «pionniers qui, par goût de l’extravagance, ou au nom de l’originalité et de la nouveauté» continueront à lancer «la Femme dans une voie qui va à l’encontre de sa nature propre». Il concluait en affirmant que la libération et la promotion de la Femme lui tenaient à cœur, de même que «l’épanouissement de son être physique et moral», pour autant qu’on lui conserve sa dignité. Selon lui, le football ne contribuait apparemment ni à l’un ni à l’autre et était donc indigne d’elle!
Cyrille Gigandet