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“Les Fils de Luc Vuilleumier”

“Les fils de Luc Vuilleumier” était d’abord un atelier et un comptoir d’horlogerie. L’entreprise a été fondée au début du XXe siècle par Aurèle et Arthur Vuilleumier, originaires de La Sagne et de Tramelan. À l’origine, elle était située au Cernil[1], un hameau de la deuxième commune, autrefois divisée entre un “Dessous” et un “Dessus”. Suivant le témoignage de Pierre Gigandet, qui avait travaillé chez eux entre 1952 et 1954[2], les deux frères y avaient déjà accompli leur apprentissage, chez un certain Mathey[3]. Ils s’y formèrent en compagnie de son père Ali Gigandet, qui habitait alors à proximité, aux Vacheries des Genevez, et avec qui ils continuèrent à travailler par la suite.

L’entreprise est déplacée à Tramelan-Dessus après la Première Guerre Mondiale[4]. Ses produits sont présentés en août 1924 à l’exposition cantonale bernoise de Berthoud parmi les exposants jurassiens[5] et à la Foire d’échantillons de Bâle en avril 1931[6]. À cette époque, les deux frères Vuilleumier étaient associés avec Ali Gigandet. Un quatrième partenaire, marchand et vendeur en horlogerie aurait alors apporté des capitaux et se serait retiré de l’affaire dès le début de la crise, laissant les trois autres dans une situation financière pour le moins difficile[7].

Quoi qu’il en soit, l’entreprise semble prendre un nouveau départ en 1937. Le 28 mars, elle dépose en effet la marque “Tsilla” de montres de poche et de montres-bracelets.[8]. Le 28 avril, elle est officiellement enregistrée sous la raison sociale de “Les fils de Luc Vuilleumier” en tant que société en nom collectif, active dans la fabrication et la vente d’horlogerie[9]. Toujours d’après Pierre Gigandet, son père recommença à travailler pour eux avant la guerre. Il produisait alors de grosses montres de poche aux boîtiers d’or ou d’argent, dont le cadran émaillé était orné de fleurs, de scènes champêtres ou d’animaux de la ferme. L’entreprise exportait  alors  jusqu’en Asie et au Japon.

En juin 1952, les deux frères tentent de diversifier leurs activités. Ils créent une autre société du même type sous la raison sociale “Lettres en métal et bois. A. & A. Vuilleumier”. La nouvelle entreprise a son siège à Bienne, Chemin de la Concorde 3. Elle y restera active une vingtaine d’années dans la fabrication de caractères d’imprimerie[10].

En juin 1954, preuve d’un certain développement de la société de Tramelan, deux nouvelles marques de fabrique et de commerce sont déposées au nom de “Les fils de Luc Vuilleumier”: “Lucmier” et “Myosotis” pour «tous produits horlogers, montres, mouvements de montres, boîtes de montres, cadrans, étuis de montres, parties de montres et articles d’emballage s’y rapportant»[11].

Au 31 décembre 1955, Aurèle et Arthur se retirent de cette dernière société au sein de laquelle ils sont remplacés le 1er janvier suivant par Maurice et Jean-Claude Vuilleumier[12]. Le premier des deux nouveaux associés est le fils d’Aurèle. Le second est le beau-fils de Maurice, marié à une veuve portant le même patronyme que lui[13]. L’entreprise renouvelle le dépôt de sa marque “Tsilla” le 20 février 1957[14] et semble connaître une certaine expansion jusqu’au milieu de la décennie suivante. En avril 1966, elle cherche même à engager un horloger-rhabilleur pour aller travailler aux Antilles américaines. Son siège est alors situé à la Grand-Rue 174, toujours à Tramelan[15].

Au 22 décembre 1972, la société en nom collectif est dissoute en raison du retrait de Maurice Vuilleumier. Jean-Claude poursuit seul les affaires, toujours dans la fabrication de montres et le commerce d’horlogerie. Dorénavant individuelle, l’entreprise est enregistrée sous la raison sociale “Les fils de Luc Vuilleumier, succ. Jean-Claude Vuilleumier”[16]. Le 1er mars 1977, le nouveau propriétaire renouvelle une dernière fois le dépôt de la marque “Tsilla”[17]. Finalement, il cesse toute activité en 1981. La raison sociale de la société est radiée le 5 août «par suite de cessation de commerce»[18].

Les chocs pétroliers et les restructurations dans le secteur horloger eurent de lourdes conséquences dans la région. Le 5 mai 1983, un article de l’Impartial relevait que 22 entreprises de Tramelan avaient fermé leurs portes les dix dernière années, parmi lesquelles «la fabrique d’horlogrie Les Fils de Luc Vuilleumier»[19].


  1. Journal du Jura, no 277, 26 novembre 1969: “Décès de M. Aurèle Vuilleumier, ancien maire”.
  2. Interview de Pierre Gigandet, enregistré avec son accord par Cyrille Gigandet le 2 novembre 2021, en son domicile de Corgémont et en présence de son épouse Jeannette, née Liechti, aussi horlogère de métier.
  3. On trouve effectivement la mention de plusieurs horlogers de ce nom au Cernil dès le début des années 1860, dont un Frédéric-Auguste et un Samuel en 1864, un César en 1883, Albert et Jämes dès 1887.
  4. Journal du Jura, no 277, 26 novembre 1969: “Décès de M. Aurèle Vuilleumier, ancien maire”.
  5. Journal du Jura, N° 186, 11 août 1924: “Exposition cantonale de Berthoud-Les exposants jurassiens”
  6. Le Franc-Montagnard, Vol. 33, N° 4326, 10 avril 1931: “Le Jura bernois à la Foire suisse | d’échantillons de Bâle”. Les intérêts du Jura: bulletin de l’Association de défense des intérêts du Jura, Tome 2 (1931). “Le Jura à la Foire de Bâle : 11-21 avril 1931”.
  7. Témoignage de Pierre Gigandet, entretien cité.
  8. «Hergestellt wurde das gute Stück von der Fabrication d’Horlogerie Les Fils de Luc Vuilleumier / succ. Jean-Claude Vuilleumir aus Tramelan-Dessus. Registriert wurde die Marke am 20.3.1937» Uhrforum.
  9. Feuille officielle suisse du commerce (FOSC) du 28 avril 1937, N° 97, page 997.
  10. FOSC, Tome 70 (1952), 4 juin 1952. Cette seconde entreprise durera une dizaine d’année. La société sera
    dissoute en 1968 et l’entreprise radiée en janvier 1972 par suite de liquidation. FOSC, Tome 90 (1972), 4. Januar 1972.
  11. Bureau fédéral de la propriété intellectuelle: N° 151762 et N° 151763. Date de dépôt: 28 juin 1954, 8 h.
  12. FOSC, Tome 75(1957), p. 599.
  13. Ces information généalogiques m’ont été transmises le 16 mai 2022 par Mme Doris Vuilleumier-Suter, veuve de Jean-Claude. Elles m’ont été confirmées le même jour par sa fille Ariane. Les deux m’ont confirmé aussi que la maison qu’elles habitaient alors à la Grand Rue 174 avait bien été le siège de la société et de l’entreprise “Les fils de Luc Vuilleumier”. Elles m’ont assuré également n’avoir conservé l’une et l’autre aucun document en rapport, ignorant également quel avait été le sort des archives de l’entreprise, dont on ne trouve aucune trace dans les dépôts régionaux et cantonaux.
  14. FOSC, Tome 75 (1957), p. 831. Bureau fédéral de la propriété intellectuelle, N° 164245. Date de dépôt: 20 février 1957, 19 h. Renouvellement de la marque N° 90377.
  15. L’Impartial, 22 avril 1966. Les deux communes de Tramelan-Dessous et Tramelan-Dessus ont fusionné en 1952.
  16. FOSC, Tome 91 (1973), p. 65.
  17. FOSC, Tome 95 (1977), p. 1845.
  18. FOSC, Tome 99 (1981), p. 2597.
  19. Roland Carrera, L’Impartial, 5 mai 1983, pp. 17 et 29.

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